Mais la nuit aussitôt de ses ailes affreuses |
Couvre des Bourguignons les campagnes vineuses, |
Revole vers Paris, et, hâtant son retour, |
Déjà de Montlhéri voit la fameuse tour. |
Ses murs, dont le sommet se dérobe à la vue, |
Sur la cime d’un roc s’allongent dans la nue, |
Et, présentant de loin leur objet ennuyeux, |
Du passant qui le fuit semblent le suivre des yeux. |
Mille oiseaux effrayants, mille corbeaux funèbres, |
De ces murs désertés habitent les ténèbres. |
Là, depuis trente hivers, un hibou retiré |
Trouvait contre le jour un refuge assuré. |
Des désastres fameux ce messager fidèle |
Sait toujours des malheurs la première nouvelle, |
Et, tout prêt d’en semer le présage odieux, |
Il attendait la nuit dans ces sauvages lieux. |
Aux cris qu’à son abord vers le ciel il envoie, |
Il rend tous ses voisins attristés de sa joie. |
La plaintive Progné de douleur en frémit; |
Et, dans les bois prochains, Philomène en gémit. |
«Suis-moi,» lui dit la Nuit. L’oiseau plein d’allégresse |
Reconnaît à ce ton la voix de sa maîtresse. |
Il la suit: et tous deux, d’un cours précipité, |
De Paris à l’instant abordent la cité. |
Là, s’élançant d’un vol que le vent favorise |
Ils montent au sommet de la fatale église. |
La Nuit baisse la vue, et, du haut du clocher, |
Observe les guerriers, les regarde marcher. |
Elle voit le barbier qui, d’une main légère, |
Tient un verre de vin qui rit dans la fougère, |
Et chacun, tour à tour s’inondant de ce jus, |
Célébrer, en buvant, Gilotin et Bacchus. |
«Ils triomphent! dit-elle; et leur âme abusée |
Se promet dans mon ombre une victoire aisée: |
Mais allons: il est temps qu’ils connaissent la Nuit.» |
A ces mots, regardant le hibou qui la suit, |
Elle perce les murs de la voûte sacrée; |
Jusqu’en la sacristie elle s’ouvre une entrée; |
Et, dans le ventre creux du pupitre fatal, |
Va placer de ce pas le sinistre animal. |
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Mais les trois champions, pleins de vin et d’audace, |
Du Palais cependant passent la grande place; |
Et, suivant de Bacchus les auspices sacrés, |
De l’auguste chapelle ils montent les degrés. |
Ils atteignaient déjà le superbe portique |
Où Ribou le libraire, au fond de sa boutique, |
Sous vingt fidèles clefs garde et tient en dépôt |
L’amas toujours entier des écrits de Haynaut, |
Quand Boirude, qui voit que le péril approche, |
Les arrête, et, tirant un fusil de sa poche, |
Des veines d’un caillou, qu’il frappe au même instant, |
Il fait jaillir un feu qui pétille en sortant, |
Et bientôt, au brasier d’une mèche enflammée, |
Montre, à l’aide du soufre, une cire allumée. |
Cet astre tremblotant, dont le jour les conduit, |
Est pour eux un soleil au milieu de la nuit. |
Le temple à sa faveur est ouvert par Boirude: |
Ils passent de la nef la vaste solitude, |
Et dans la sacristie entrant, non sans terreur, |
En percent jusqu’au fond la ténébreuse horreur. |
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C’est là que du lutrin gît la machine énorme: |
La troupe quelque temps en admire la forme. |
Mais le barbier, qui tient les moments précieux: |
«Ce spectacle n’est pas pour amuser nos yeux, |
Dit-il: le temps est cher, portons-le dans le temple: |
C’est là qu’il faut demain qu’un prélat le contemple.» |
Et d’un bras, à ces mots, qui peut tout ébranler, |
Lui-même, se courbant, s’apprête à le rouler. |
Mais à peine il le touche, ô prodige incroyable! |
Que du pupitre sort une voix effroyable. |
Brontin en est ému; le sacristain pâlit: |
Le perruquier commence à regretter son lit. |
Dans son hardi projet toutefois il s’obstine, |
Lorsque des flanc poudreux de la vaste machine |
L’oiseau sort en courroux, et, d’un cri menaçant, |
Achève d’étonner le barbier frémissant: |
De ses ailes dans l’air secouant la poussière, |
Dans la main de Boirude il éteint la lumière. |
Les guerriers à ce coup demeurent confondus; |
Ils regagnent la nef, de frayeur éperdus: |
Sous leurs corps tremblotants leurs genoux s’affaiblissent; |
D’une subite horreur leurs cheveux se hérissent; |
Et bientôt, au travers des ombres de la nuit, |
Le timide escadron se dissipe et s’enfuit. |
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Ainsi lorsqu’en un coin, qui leur tient lieu d’asile, |
D’écoliers libertins une troupe indocile, |
Loin des yeux du préfet au travail assidu, |
Va tenir quelquefois un brelan défendu; |
Si du vaillant Argus la figure effrayante |
Dans l’ardeur du plaisir à leurs yeux se présente, |
Le jeu cesse à l’instant, l’asile est déserté, |
Et tout fuit à grands pas le tyran redouté. |
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La Discorde, qui voit leur honteuse disgrâce, |
Dans les airs, cependant tonne, éclate, menace, |
Et, malgré la frayeur dont leurs cœurs sont glacés, |
S’apprête à réunir ses soldats dispersés. |
Aussitôt de Sidrac elle emprunte l’image: |
Elle ride son front, allonge son visage, |
Sur un bâton noueux laisse courber son corps, |
Dont la chicane semble animer les ressorts, |
Prend un cierge en sa main, et, d’une voix cassée, |
Vient ainsi gourmander la troupe terrassée: |
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«Lâches, où fuyez-vous? quelle peur vous abat? |
Aux cris d’un vil oiseau vous cédez sans combat? |
Où sont ces beaux discours jadis si pleins d’audace? |
Craignez-vous d’un hibou l’impuissante grimace? |
Que feriez-vous, hélas! si quelque exploit nouveau |
Chaque jour, comme moi, vous traînait au barreau; |
S’il fallait, sans amis, briguant une audience, |
D’un magistrat glacé soutenir la présence, |
Ou, d’un nouveau procès hardi solliciteur, |
Aborder, sans argent, un clerc de rapporteur? |
Croyez-moi, mes enfants, je vous parle à bon titre: |
J’ai moi seul autrefois plaidé tout un chapitre; |
Et le barreau n’a point de monstres si hagards |
Dont mon œil n’ait cent fois soutenu les regards. |
Tous les jours sans trembler j’assiégeais leurs passages. |
L’Église était alors fertile en grands courages: |
Le moindre d’entre nous, sans argent, sans appui, |
Eût plaidé le prélat, et le chantre avec lui. |
Le monde, de qui l’âge avance les ruines, |
Ne peut plus enfanter de ces âmes divines: |
Mais que vos cœurs, du moins, imitant leurs vertus, |
De l’aspect d’un hibou ne soient pas abattus. |
Songez quel déshonneur va souiller votre gloire, |
Quand le chantre demain entendra sa victoire. |
Vous verrez tous les jours le chanoine insolent, |
Au seul mot de hibou, vous sourire en parlant. |
Votre âme, à ce penser, de colère murmure; |
Allez donc de ce pas en prévenir l’injure; |
Méritez les lauriers qui vous sont réservés, |
Et ressouvenez-vous quel prélat vous servez. |
Mais déjà la fureur dans vos yeux étincelle: |
Marchez, courez, volez où l’honneur vous appelle. |
Que le prélat, surpris d’un changement si prompt, |
Apprenne la vengeance aussitôt que l’affront.» |
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En achevant ces mots, la déesse guerrière |
De son pied trace en l’air un sillon de lumière, |
Rend aux trois champions leur intrépidité, |
Et les laisse tout pleins de sa divinité. |
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C’est ainsi, grand Condé, qu’en ce combat célèbre, |
Où ton bras fit trembler le Rhin, l’Escaut et l’Èbre, |
Lorsqu’aux plaines de Lens nos bataillons poussés |
Furent presque à tes yeux ouverts ou renversés, |
Ta valeur, arrêtant les troupes fugitives, |
Rallia d’un regard leurs cohortes craintives, |
Répandit dans leurs rangs ton esprit belliqueux, |
Et força la victoire à te suivre avec eux. |
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La colère à l’instant succédant à la crainte, |
Ils rallument le feu de leur bougie éteinte. |
Ils rentrent; l’oiseau sort: l’escadron raffermi |
Rit du honteux départ d’un si faible ennemi. |
Aussitôt dans le chœur la machine emportée |
Est sur le banc du chantre à grand bruit remontée. |
Ses ais demi-pourris, que l’âge a relâchés, |
Sont à coups de maillet unis et rapprochés. |
Sous les coups redoublés tous les bancs retentissent: |
Les murs en sont émus, les voûtes en mugissent. |
Et l’orgue même en pousse un long gémissement. |
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Que fais-tu, chantre, hélas! dans ce triste moment? |
Tu dors d’un profond somme, et ton cœur sans alarmes |
Ne sait pas qu’on bâtit l’instrument de tes larmes? |
Oh! que si quelque bruit, par un heureux réveil, |
T’annonçait du lutrin le funeste appareil; |
Avant que de souffrir qu’on en posât la masse, |
Tu viendrais en apôtre expirer dans ta place, |
Et, martyr glorieux d’un point d’honneur nouveau, |
Offrir ton corps aux clous et ta tête au marteau. |
Mais déjà sur ton banc la machine enclavée |
Est, durant ton sommeil, à ta honte élevée: |
Le sacristain achève en deux coups de rabot, |
Et le pupitre enfin tourne sur son pivot. |
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