Parijs - 19e eeuw Jean Baptiste Louis Gresset   Biografie Charles Nodier (1852)

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1852

Oeuvres de Gresset, voorwoord van Charles Nodier

  RESSET naquit à Amiens, en 1709 , d'une famille considérée dans la bourgeoisie; son père était échevin ; et quand le fils d'un échevin annonçait de l'esprit} on le destinait ordinairement à être jésuite. Gresset fut élevé chez les jésuites de Paris. L'éducation littéraire de Gresset concourait avec là fin de la régence , avec le commencement du règne de Louis XV. Hamilton et Chaulieu venaient de mourir ; ils avaient légué le secret du vers facile et des rimes re-doublées à la muse gracieuse de Voltaire; mais Voltaire, jeune encore, se souciait peu d'un talent qui aurait suffi à sa gloire. Il ambitionnait la palme épique, et bien des gens s'imaginent encore qu'il l'a cueillie.  

Gresset eut le bonheur, extrêmement rare parmi les jeunes gens qui se destinent aux lettres, de mesurer ses forces et de connaître sa portée. Enhardi par un grand succès, il tenta quelquefois depuis de franchir cette limite judicieuse qu'un instinct favorable lui avait révélée ; mais ce fut pour y rentrer presque aussitôt. S'il avait débuté par la traduction des Bucoliques, la tragédie d'E-douard, ou le drame de Sidney, c'était un talent perdu.

Il fit mieux. À vingt-quatre ans, il débuta par Ver-Vert; et Ver-Vert est un chef-d'œuvre dans son petit genre, car il n'y a point de genre si petit pour l'art qu'il ne puisse être relevé par la perfection du travail. On aimerait mieux avoir fait certaine épigramme de l' Anthologie, que le long poëme de Lycophron. Une masse comme celle des pyramides n'étonne que les sens ; ce qui plaît à l'esprit et au goût, dans les petits ouvrages comme dans les grands, c'est l'entente générale d'une composition, l'harmonie de ses parties, et le fini de ses détails. Ver-Vert n'est qu'un jeu d'esprit, et Ver-Vert est immortel.

Il ne faut d'ailleurs chercher dans Ver-Vert ni une fable pleine d'invention, de mouvement et d'originalité, comme celle de la Secchia rapita, ni un style éblouissant de poésie, comme celui du Lutrin; Ver-Vert est un poëme qui n'avait point alors de modèle, et qui ne doit point avoir d'imitateur; c'était la juste expression d'une époque à nulle autre pareille, du siècle d'or de la bagatelle et des riens du peuple enfant, frivole et dissipé, qui apprenait à connaître l'histoire dans les romans de Voltaire ; les moeurs, dans les romans de Marivaux ; l'amour, dans les romans de Crébillon ; de cette société qui finissait dans une orgie, comme la cour de Balthazar , mais dans une orgie sans délire et sans vigueur ; où des satyres vaincus du temps et des bacchantes épuisées s'agaçaient inutilement à coups de fleurs artificielles, sur un volcan prêt à s'ouvrir. Ver-Vert était la seule Iliade réservée a une nation qui s'en va. Cet état de choses est réellement déplorable à retracer, mais le poëme est fort joli.

Gresset , livré à des travaux moins brillants et plus solides, aurait longtemps attendu les faveurs de l'autorité; il venait de payer son tribut au scepticisme et à la frivolité du siècle ; on le nomma professeur d'humanités à Tours.

Cependant l'opinion publique n'avait pas été partout également favorable à Ver-Vert. Ver-Vert avait soulevé contre lui d'implacables rancunes dans tous les couvents de Visitandines, et la supérieure d'un de ces couvents se trouvait sœur d'un ministre. Le professeur d'humanités fut exilé à la Flèche, et pour comble de malheur , il y amusa les loisirs de sa solitude à la traduction des délicieuses églogues de Virgile ; cet essai malencontreux, dont il ne serait plus question, si on ne l'avait conservé dans les nouvelles éditions des OEuvres complètes de Gresset, prouva qu'il est plus facile de faire parler les perroquets que les poètes.

Gresset avait renoncé dès lors à la carrière de renseignement, pour exercer la littérature à ses risques et périls; de cette époque datent ses infructueuses tentatives dans un genre pour lequel il n'était point né. On ne se souvient plus d'Edouard, et Sidney put passer pour un larcin maladroit, fait au portefeuille de Lachaus-sée. Cette pièce triste ne serait guère qu'une triste pièce, si l'ennui monotone et larmoyant du fond n'était relevé par un bon style. Aujourd'hui, peut-être, on la remettrait au théâtre avec quelque succès ; la déplorable manie du suicide a fait des progrès qui lui donneraient l'intérêt de la circonstance ; quant au style de nos dramaturges, il n'a pas fait de progrès, tant s'en faut, et celui de Gresset aurait presque le mérite de la nouveauté.

Gresset rentra dans la véritable voie de son talent, par la jolie comédie du Méchant : rien ne prouva que l'écolier des jésuites eût beaucoup vu ce qu'on appelait la bonne compagnie, mais il l'avait certainement devinée. Cet ouvrage n'est même que trop vrai ; car il y a un genre de vérité spéciale qui cesse d'être la vérité de tout le monde : à force d'exactitude dans la peinture des mœurs et dans l'imitation du langage, l'auteur est tombé dans le jargon, et ses vers donneront bien de la peine aux scoliastes futurs, s'il y a encore des scoliastes. On remarque dans le Méchiant une grande finesse d'observation et surtout une grande profusion d'esprit, qui aurait dans tous les temps suffi à son succès; mais il aurait eu moins de succès s'il avait eu moins de défauts; c'est moins une composition dramatique, qu'un tissu de lambeaux d'épîtres et de satires, assujettis tant bien que mal aux transitions des dialogues; il n'y a presque point de sentences dans Molière, il n'y a presque point de traits. Ces figures maniérées du style, sont le propre d'une littérature en décadence ; elles abondent dans le Méchant; et si on veut se rendre compte du plaisir qu'on éprouve à sa lecture, on verra que c'est ce luxe de mauvais goût qui le produit; je ne donne pas cela pour un vice de l'ouvrage, mais pour le caractère dis-tinctif de tous les ouvrages à succès, qui ont paru à la même époque ; sous peine de n'appartenir à aucun temps, les auteurs sont obligés de se conformer à l'esprit du temps où ils vivent ; dans cette carrière comme dans toutes les autres, c'est un grand bonheur que d'être né à propos.

Gresset avait une si prodigieuse facilité à jeter au moule le vers proverbe, qu'il lui est arrivé souvent de dire la même chose de trois manières différentes 1, et quelquefois dans la même scène. C'est battologie pour les critiques difficiles, et richesse pour le vulgaire.

Après Ver-Vert, Gresset avait quitté les jésuites; après le Méchant, il entre à l'Académie; dès lors sa carrière littéraire était remplie : ajoutons qu'il n'a probablement rien perdu à la quitter,

La place de Gresset n'est pas au premier rang de la littérature française; mais elle est assez belle encore; il sut être original dans un siècle où il n'y avait rien de plus rare que l'originalité; et Voltaire seul a passé pour avoir plus d'esprit que lui, dans un siècle où il n'y avait rien de plus commun que l'esprit. Ver-Vert, le Méchant, le Lutrin vivant, le Carême impromptu, ne composent pas un gros bagage; mais on les sait par coeur. Honneur aux auteurs qu'on pourrait se dispenser de réimprimer, tant ils sont présents à la mémoire! Toutefois on réimprime souvent Gresset; et si l'on fait sagement, on n'en réimprimera que cela.

Il y a certainement de l'esprit, de la facilité, de l'é-légance, dans le Parrain magnifique ; il y en aurait dans le Gazetin, si le Gazetin s'était retrouvé. Un écrivain d'un esprit élégant et facile porte ces qualités partout : mais qu'est-ce d'ailleurs qu'un poëme sans invention, sans action, sans intérêt, dont tout l'agrément se réduit aux euphonies d'un verbiage sonore? Je ne regrette pas même les deux chants perdus de Ver-Vert, dont la mémoire de ses amis avait conservé quatre vers :

L'une découpe un agnus en lozange,

Ou fait la barbe à quelque bienheureux ;

L'autre bichonné une vierge aux yeux bleus

Ou passe au fer le toupet d'un archange.

Tout le reste de l'ouvroir serait sur ce ton , que je ne le regretterais pas davantage. La fable de Ver-Vert est parfaitement conçue dans sa mesure ; il y a déjà un peu de cette abondance qui caractérise l'auteur ; mais cette abondance ne nuit point , parce qu'elle est bien entendue et qu'elle n'a rien d'excessif. Le vrai moyen de gâter Ver-Vert, c'était de l'allonger de deux chants et de lui enlever ce mérite de proportion qui fait le plus grand charme des petits ouvrages. Je ne sais ce que les libraires ont pu perdre à la suppression de ces deux chants parasites, mais je suis sûr que Ver-Vert et Gresset y ont beaucoup gagné.

La fin de la vie de Gresset fut sans éclat, mais elle ne fut pas sans douceur. Il aimait la campagne, la retraite, la vie domestique. II était sensible et pieux; sa dévotion s'effraya du bruit passager que son talent avait fait; il prit plaisir à l'expier dans une obscurité profonde, où tout le monde l'aurait oublié, si la haine des philosophes pouvait oublier quelque chose. Voltaire le dé-chira dans des vers fort piquants que l'on a retenus, et dans des épîtres moins attiques, dont ses éditeurs n'ont pas fait tort à la postérité. Le pauvre Gresset y est traité de plat fanatique, de fat extravagant, et surtout de polisson : c'était l'euphémisme favori des muses de Ferney. Gresset ne répondit point à ces aménités de haut goût, il se contenta de prier pour la conversion du patriarche, et ne fut pas exaucé; mais cela n'est pas trop mal pour un polisson.

Les anathèmes de Voltaire ont longtemps porté malheur en France. Quand j'habitais Amiens, en 1810, je demandai à voir le tombeau de Gresset. On me montra une étable où des mains dédaigneuses avaient jeté son cercueil : il y est peut-être encore.

Ce qu'il y a de plus remarquable dans la destinée littéraire de Gresset, ce n'est pas d'avoir été cruellement outragé par Voltaire; il eut cela de commun avec Shakespeare, avec Jean-Baptiste Rousseau, avec Jean Jac ques, avec le président de Brosses, avec beaucoup d'autres qui ont conservé quelque renom dans le monde éclairé, c'est d'avoir été loué par Robespierre, qui concourut en 1785 pour le prix proposé par l'académie d'Amiens. J'engagerais volontiers l'éditeur des Œuvres choisies de Gresset à décorer son édition de cette pièce vraiment curieuse, si elle n'était pas détestable; et je me garderais bien de le dire si Robespierre vivait encore. Auprès de la polémique de celui-là, les grossièretés de Voltaire peuvent passer pour des madrigaux.

1) Les sots sont ici-bas pour nos menus plaisirs.

Le ridicule est fait pour notre amusement.

Tout ce qui vit n'est fait que pour nous réjouir.