Chacun son
record.
Tel journal,
par exemple, – pour prendre un exemple dans la Presse – détient
sur tel tapis une incontestable suprématie, cependant qu’une
seconde gazette se trouvera des plus imbattables dans une autre
branche.
(Détenir une
suprématie sur un tapis! Être imbattable dans une branche! Quel
style, grand Dieu!)
C’est ainsi
qu’aucune personne sensée ne songerait à se mettre en travers de
notre décision si l’envie nous prenait un beau jour de décerner à
l’excellent Journal des Débats la palme des Histoires d’animaux.
Il y a peu de
mois, un rédacteur de cet organe, M. Maurice Spronck, charmant
garçon, délicat lettré, mais observateur superficiel nous contait
sans sourciller, l’histoire de ce hareng transformé, par son
évolutionniste patron, en fidèle caniche, et, finalement noyé, –
pauvre animal! un jour que, par malheur, il tomba dans la mer.
Aujourd’hui,
ou, pour parler plus exactement, avant-hier, M. Henri de Parville, le
savant rédacteur de ladite gazette, terminait sa « Revue des
Sciences » par l’anecdote suivante, que mes ciseaux les plus
nickelés n’hésitent pas une seconde à découper.
Vous avez la
parole, mon cher Henri:
« M. Loys
Brueyre, que tout le monde connaît, nous racontait dernièrement une
histoire de perroquet que nous voudrions bien croire authentique et
qui doit l’être, en effet, puisqu’elle lui a été dite par une
jolie créole de l’Amérique du Sud.
» Un soir,
cette créole avait été prendre le frais avec ses amies dans un bois
voisin de sa demeure. Tout à coup, de tous côtés, on entendit dans
les arbres, au milieu des taillis, de près, de loin: Ora pro nobis,
Domine!
» Un silence,
et aussitôt d’autres voix répondirent: Amen, amen!
» On chercha
dans toutes les directions. Il n’y avait certainement personne
auprès des promeneurs. La créole aperçut, sur une branche, un
perroquet qui semblait la contempler ironiquement. Plus loin, un autre
perroquet, un troisième perroquet, plusieurs perroquets. Il y avait
là, évidemment, le père, la mère et les enfants. Toute une famille;
peut-être toute une population de cousins et de parents.
» Et, de
temps en temps, le silence du bois était troublé par les mêmes
paroles: Ora pro nobis, Domine! Puis comme un écho d’autres
voix répétaient: Amen, amen, amen! Et il y avait beaucoup de
voix.
» L’aventure
était singulière et sans doute n’eût-on pas aisément trouvé la
clef de l’énigme, quand un perroquet quitta la branche d’un arbre
et vint tranquillement se poser sur l’épaule de la jolie créole.
Et dans son oreille rosée, il cria: Ora pro nobis, Domine!
» C’était
une vieille connaissance: un perroquet privé qui avait vécu des
années dans la maison de la créole.
» Un beau
matin de printemps, quand le bois se couvrit de feuilles nouvelles et
se parfuma, le perroquet sentit le besoin de reconquérir sa liberté
et d’aller conter fleurette à ses pareilles. Il quitta son perchoir
et gagna la forêt natale.
» Mais
pendant des années, quand il vivait prisonnier, il avait assisté,
chaque soir, à la prière dite en commun et à haute voix. En dormant
à moitié, il avait beaucoup retenu.
» Quand il
fut de retour chez lui dans les bois, à la nuit tombante, il pensa à
ses hôtes et se mit comme eux à répéter la prière du soir. Il la
répéta si bien, que femme et enfants imitèrent le père de famille.
Après eux, les voisins, puis les voisins des voisins.
» Et le soir,
comme dans une forêt enchantée, on n’entend plus maintenant que
des prières, la prière des oiseaux:
» Ora pro
nobis, Domine ! Amen, amen, amen! »
M. Loys
Brueyre, que tout le monde connaît, s’est-il laissé monter un
gracieux esquif par la jolie créole de l’Amérique du Sud: cela n’est
d’aucune importance, l’anecdote (même) n’en dégagerait que
plus d’intérêt.
Et quelle
indication précieuse ne comporte-telle pas pour nos amis les
missionnaires anglais!
Inculquer à
des milliers de perroquets chacun un petit morceau de Bible et lâcher
ensuite tous ces volatiles au sein des forêts vierges habitées par d’horribles
peuplades qui vivent si loin de N. S.