Quand Hérodote
prétendait que les perroquets ont pour coûtume de vivre fort vieux,
cet estimable polygraphe n’avançait rien à la légère.
Les
perroquets, en effet, ont pour coûtume de vivre fort vieux, à moins
pourtant qu’un persil
meurtrier ne vienne faucher en sa fleur le fil de leurs ans jaseurs.
(Un persil,
qui fauche un fil en sa fleur... quelle littérature !)
La longévité
plus ou moins considérable des perroquets peut même amener certains litiges
spéciaux, témoin ce procès curieux qui va se plaider jeudi prochain
devant le tribunal de Pont-l’Évêque.
Rappelons
brièvement les faits:
Le 27 mai
1868, une vieille fille, la demoiselle Marie Popette, mourait laissant
la totalité de son petit avoir (2300 fr. de rentes) à son perroquet,
antique oiseau que lui avait jadis légué un sien vieil oncle, et
auquel elle avait voué un attachement véritablement maternel (au
perroquet, bien entendu.)
Comme la loi
française interdit formellement de remettre argent, valeurs ou titres
ès-mains d’un oiseau quelconque, les petites rentes de la vieille
fille furent confiées à une bonne qu’elle avait à son service, au
moment de sa mort.
Le testament,
en effet, portait que la légataire jouirait de cette fortune tant que
vivrait son perroquet; après quoi, les rentes s’en retourneraient
aux héritiers naturels.
Ces derniers,
vous voyez d’ici leurs sentiments à l’égard de l’oiseau
rentier.
– Bah! se
consolaient-ils, cette volaille n’est plus de la première jeunesse.
Patientons un peu.
Et ils
patientaient.
Le perroquet
en question était un perroquet fort mal élevé, un
perroquet à vocabulaire grossier. Son premier maître, un
vieux soldat de la Révolution et de l’Empire, lui avait inculqué
quelques clameurs dans ce genre: M...
pour les Bourbons! pour saluer le passage d’un ecclésiastique: Vive
l’Empereur! pour un militaire en uniforme: Cochons d’Anglais!
pour les personnes à allures de touristes, quelle que fût, d’ailleurs,
leur nationalité, etc., etc.
Or, à la
grande rage des héritiers, le discourtois perroquet ne mourait pas
souvent. Pourtant, d’après les calculs les plus raisonnables, il
devait avoir au moins cent ans.
Ah! la sale
bête!
Un doute
affreux envahit l’âme cupide des héritiers, ou plutôt l’âme
cupide de leurs descendants, car les premiers, en désespoir de cause,
s’étaient décidés à trépasser avant leur cohéritier à plumes.
Si le
perroquet d’aujourd’hui, se disaient-ils, n’était plus le même
que celui de 1868!
En un mot, s’il
y avait eu substitution!
Une enquête
habilement menée vint confirmer les soupçons.
On apprit que
la bonne femme chargée du soin de l’animal s’absentait souvent,
emportant avec elle son précieux vert-vert.
Elle se
rendait à la campagne, chez des parents à elle, qui possédaient
eux-mêmes trois perroquets absolument semblables au héros de notre
histoire.
Ces trois
perroquets étaient sévèrement dressés à prononcer le répertoire
du nôtre, savoir: M... pour les Bourbons! Cochons d’Anglais!
et autres urbanités analogues.
Comment ne pas
avoir dans cette réunion d’oiseaux une réserve, un... comment
dirai-je donc ?... un véritable Conservatoire de perroquets destinés
au remplacement du manquant, au cas échéant?
La justice fut
aussitôt saisie de l’affaire.
Un
vétérinaire commis à l’examen de l’oiseau litigieux ne put
conclure nettement sur son âge probable. (Le perroquet n’offre pas,
comme le cheval, la ressource du contrôle dentaire.) Les choses en
sont là.
Je ne
manquerai pas, jeudi, d’assister à séance du tribunal, et je
télégraphierai aussitôt le verdict (par fil spécial).