Et tous les
jours qui suivirent, il en fut de même.
C’était
mathématique, comme disent les personnes qui ne connaissent pas la
valeur exacte des mots.
Dès que
sonnait la demie de sept heures du soir, nos voisins, ce monsieur et
cette dame si réservés, si calmes jusqu’à ce moment, partaient d’un
éclat de rire fou et semblaient en proie à une allégresse si
désordonnée, que la gaieté des héros d’Homère eût semblé,
près d’elle, un pâle sourire.
Le monsieur,
un sexagénaire décoré, se mettait à gambiller sur le sable de son
jardin.
La dame, une
rondelette et grisonnante matrone, s’asseyait pour se tenir les
côtes plus à son aise.
Jusqu’à la
bonne qui se convulsait de joie en venant annoncer: « Madame est
servie! »
Il m’arrivait
souvent, dans la journée, de rencontrer le couple par les allées du
parc, et rien de son aspect n’indiquait les forcenés rigolos qu’allaient
bientôt devenir ces dignes bourgeois.
À défaut d’autre
explication, j’avais fini par mettre cet excès simultané sur le
compte d’une triple loufoquite périodique.
Un jour, je
devins fort inquiet.
Ma bonne, ma
pauvre bonne, que rien pourtant ne semblait désigner à une telle
névrose, ma bonne, elle aussi, éclatait de rire dès que sonnait la
demie de sept heures du soir.
Et elle
continuait à rire jusqu’à l’heure venue de se coucher.
Impatienté,
je la pressai de questions:
– Me
direz-vous, Augustine, de quoi vous riez si fort?
– C’est
les merles, monsieur, c’est les merles qui me font rire.
– Les merles?
Quels merles?
– Les merles
du monsieur et de la dame d’à côté.
Quand l’accès
de ma bonne fut un peu calmé, je sus tout:
Le monsieur et
la dame d’à côté logent, paraît-il, à Paris, dans une maison au
deuxième étage.
Or,
le locataire du premier étage possède un perroquet dont le
tumultueux verbiage prohibe tout repos aux locataires de l’immeuble.
Réclamations,
menaces de procès, rien n’a pu modifier cette nuisance.
Alors, les
gens du deuxième étage (mes voisins de campagne) ont imaginé une
terrible vengeance.
Avant de
partir pour la mer, ils ont acheté une vingtaine de merles recrutés
parmi les merles les plus tapageurs du quai de la Mégisserie.
Une vieille
femme, demeurée seule dans l’appartement, a pour mission de nourrir
ces infatigables jaseurs.
Toute la
journée, elle tient les persiennes closes. Dès que sonnent sept
heures et demie du soir, elle ouvre tout grand l’éclairage
électrique de l’appartement et distribue dans chaque pièce les
cages de merles.
Et allez donc!
Les braves
oiseaux, charmés par la factice lumière, attaquent les plus
brillants morceaux de leur répertoire, et le concert dure jusqu’à
neuf heures du matin.
– Alors,
interrompis-je ma bonne, le monsieur et la dame d’à côté rient en
pensant à la tête que fait le locataire d’en dessous à partir de
sept heures et demie.
- Non,
monsieur, ce qui les fait le plus rigoler, c’est de penser à la
tête du perroquet.