– Vous allez
voir que cette petite rosse-là va encore nous faire manquer le train!
Cette
imprécation proférée en pleine gare du Havre (1) (départ) fut
immédiatement suivie de l’arrivée d’une voiture porteuse de la
petite rosse en question.
Pas seule, la
jeune personne. Un matelot l’accompagnait, un rude homme de mer qui
tenait, en ses mains hâlées, un perroquet recelé dans une cage
énorme, une cage en laquelle aurait pu évoluer à son aise un lion
adulte.
– Qu’est-ce
que c’est que tout ça? fis-je, plutôt discourtois.
Et ma petite
amie de me répondre en son désarmant gazouillis:
– Tu vas
peut-être me gronder, mon chéri, mais tant pis!... C’était une
trop belle occasion!
La belle
occasion consistait à avoir acquis pour la somme dérisoire de 15
louis un perroquet qu’on aurait carrément payé 40 francs, quai de
la Mégisserie, un perroquet bête et méchant,
qui gueulait comme un putois, sans articuler rien qui ressemblât à
des vocables classés.
– Tu vois
comme il parle bien? aggrava ma compagne.
Pendant cette
petite scène de famille, l’intrépide navigateur avait l’air un
peu gêné.
– C’est
monsieur qui l’a rapporté lui-même du
Brésil, gazouillait toujours l’enfant.
Je reconnus
tout de suite le marchand de perroquets, lequel n’était autre qu’un
matelot du François Ier (Le Havre-Trouville) en disponibilité
pour le moment, à cause de la cessation cholériforme du service.
– Vous
arrivez du Brésil? ironisai-je.
– Pas tout
droit, mais un camarade...
– Et ça
vaut 300 francs, cette volaille?
– Oh! mon
Dieu, j’ai dit 300 francs comme j’aurais dit autre chose.
– Eh! bien,
vous pouvez le renvoyer au Brésil, votre Jacquot; il y a assez de
bêtes à la maison comme ça!
Ma jeune amie,
se voyant dans son tort, prit le parti de se mettre en fureur.
– C’est
pour moi que vous dites ça?
Je n’ai
jamais fait de peine à une femme, même avec une fleur. Aussi,
répondis-je gentiment:
– Espèce de
dinde!
Et je glissai
dans la main du nautonier un billet de 50 francs qu’il dut prendre
pour une bank-note de cinq louis, car il s’éloigna vite, son béret
à la main et visiblement enchanté.
Ce ne fut pas
une petite affaire que d’installer l’oiseau jaseur dans le
compartiment. On eût eu plus tôt fait, je crois, d’introduire le
wagon dans la cage que la cage dans le wagon.
Enfin, grâce
à la complaisance d’un vieux monsieur décoré que les grands yeux
de ma Jane faisaient salement loucher, on arriva à une sorte de
tassement, presque acceptable.
La sortie fut
plus dure. Pour un peu, il eût fallu enlever le couvercle du car.
Et ce cochon
de perroquet qui n’arrêtait pas de glapir ses cris rauques et
inarticulés!
Les gens du
train s’amusaient énormément et les employés ne s’embêtaient
pas. Moi, j’étais mi-partie blanc comme un linge, de fureur, et
rouge comme un coq, de colère!
Quant à Jane,
elle avait cru prudent de s’absenter momentanément sous couleur de
quérir une voiture.
La rentrée à
la maison fut chargée d’orage. Mais je suis si bon! Une paire de
gifles, et je n’en veux plus aux gens! Même, on me reproche d’être
trop bon.
En somme, ce
malheureux perroquet n’était pas plus mal qu’un autre.
Sans ses
clameurs insupportables, il eût été un oiseau charmant.
Ses
plumes vertes qui tombaient, très fournies jusqu’à la
cheville (ou tout au moins jusqu’à ce qui sert de cheville aux
perroquets) lui donnaient un air de zouave crâneur tout à fait
rigolo.
Il
avait sur la tête une aigrette rouge dont il semblait fier
jusqu’à l’impertinence.
Et ses petits
yeux ronds, dont il clignait si malicieusement, l’idiot!
Et puis, Jane
l’aimait tant que j’avais fini par m’y faire.
Quant à son
parti pris de ne point parodier, à s’y méprendre, le langage
humain, mon adorée mettait cette infériorité sur le compte de l’embarras.
– Parbleu!
disait-elle, avec ton air tout le temps de te fiche de lui, ce petit,
il n’ose rien dire.
Cette idée de
posséder un perroquet timide me réjouissait l’âme à un point que
je ne saurais exprimer.
Je résolus d’en
avoir le coeur net, et, hier, j’avançai cette proposition:
– Dis donc, si
on lui fichait une petite cuite, peut-être que ça lui délierait la
langue?
– On peut
toujours essayer, répondit gravement Jane.
Tout d’abord,
le pauvre animal se refusa à ingurgiter le
champagne.
Les petites
bulles d’acide carbonique lui picotaient les narines (les oiseaux
ont-ils des narines?), puis, peu à peu, il prit goût à ce breuvage
et en consomma plus que de raison.
Alors, ce fut
épique.
Ce
perroquet était saoul comme une grive: il titubait, tombait,
se ramassait pour choir à nouveau.
Sa belle
aigrette rouge avait glissé jusque sur son oreille droite; ses petits
yeux clignotaient avec des luisances drôles.
Et puis, voici
que tout à coup il se mit à chanter, d’une voix perçante, le
refrain bien connu:
J’avais
mon pompon
En
revenant de Suresnes!